Bienvenue sur mon blogue d’astrophysique ! Je suis chercheur et conseiller scientifique au Planétarium Rio Tinto Alcan d’Espace pour la Vie, et j’utiliserai cette page pour vous informer de la recherche scientifique qu’on mène ici même au planétarium. Ceci est mon deuxième billet, rendez-vous ici si vous voulez lire mon premier billet où je discute de la fratrie des étoiles de la Grande Ourse. Dans le billet ci-dessous, je vous raconterai la découverte de l’exoplanète AU Mic b, le fruit d’une longue collaboration avec Peter Plavchan, professeur associé à l’Université George Mason. Je me suis joint à l’équipe de Plavchan en 2014, et j’ai contribué à l’analyse des données de télescope qui ont mené à cette découverte d’une nouvelle exoplanète.
Ce billet est aussi disponible en anglais ici.

Cette nouvelle exoplanète se nomme AU Mic b. Son nom ressemble à celui de son étoile, AU Mic ; on y a simplement ajouté la lettre « b » minuscule. C’est la nomenclature qu’on utilise en astrophysique pour les exoplanètes, une pratique approuvée par l’Union Astronomique Internationale, qui sert d’autorité par rapport à la façon dont les astres sont nommés. Cette méthode particulière découle de la nomenclature d’étoiles binaires ; par exemple, Alpha du Centaure (ou Alpha Centauri en anglais) est une étoile binaire, et on nomme ses deux membres Alpha Centauri A (aussi appelée Rigil Kentaurus) et Alpha Centauri B (aussi appelée Toliman). Nous utilisons les lettres « A » et « B » majuscules pour désigner les étoiles, et les lettres minuscules pour désigner les exoplanètes. Si nous découvrons une deuxième exoplanète en orbite autour d’AU Mic, nous la nommerons AU Mic c, et ainsi de suite — on réserve la lettre « A » pour l’étoile elle-même, mais le « A » dans le nom AU Mic A est souvent implicite.

Avant de discuter de l’exoplanète AU Mic b plus en détail, j’aimerais vous en dire plus sur son étoile AU Mic, parce qu’elle est très spéciale. Son nom, AU Microscopii au long, provient du nom de la constellation du Microscope (Microscopium en anglais) où elle se trouve. On nomme généralement l’étoile la plus brillante d’une constellation avec la lettre grecque alpha (α Mic), et la deuxième plus brillante avec beta (β Mic) et ainsi de suite. Cependant, les règles détaillées sont plus complexes, surtout quand on en arrive aux étoiles qui sont loin d’être les plus brillantes dans une constellation. AU Mic est loin d’être l’étoile la plus brillante dans la constellation du Microscope, et c’est pourquoi son nom ne commence pas par une lettre grecque. La constellation du Microscope se trouve dans l’hémisphère Sud, mais AU Mic est tout de même visible du Québec avec un télescope, dans les soirées d’août et de septembre.
Âgée de seulement 24 millions d’années, AU Mic est une étoile jeune comparativement au Soleil et ses 4,6 milliards d’années. Nous connaissons l’âge d’AU Mic parce qu’elle fait partie d’un ensemble d’étoiles nommé l’« association cinématique β Pictoris », regroupant environ 200 étoiles qui se déplacent ensemble dans l’espace et qui sont nées au sein d’un même nuage moléculaire. Dans mon premier billet, je discute de ces groupes d’étoiles en détail — je passe la majorité de mon temps à les étudier !
AU Mic est plus petite que le Soleil, avec environ 75% de sa taille, et la moitié de sa masse. On appelle parfois ces petites étoiles des naines rouges, parce que leur température plus froide leur donne effectivement une couleur rouge. Elles sont aussi parfois appelées « naines M » ou « étoiles M » en jargon scientifique. Pour plusieurs raisons, ces étoiles sont devenues très populaires au cours des dernières années pour la recherche d’exoplanètes.
Premièrement, on compte un très grand nombre de ces petites étoiles dans la Galaxie. Lorsqu’un groupe d’étoiles se forme dans un nuage moléculaire, environ 50% d’entre elles ont une masse inférieure à la moitié de celle du Soleil. Ceci est une conséquence des lois de la physique qui gouvernent le processus de formation des étoiles. Étant donné que ces petites étoiles sont omniprésentes, les inclure dans nos recherches est avantageux pour trouver plus d’exoplanètes.
Deuxièmement, le fait que ces étoiles soient à la fois plus petites, moins massives et moins brillantes nous permet de mieux détecter les exoplanètes qui sont en orbite autour d’elles. Par exemple, quand on utilise la méthode du transit pour détecter une exoplanète, on observe une étoile de façon continue pour attendre qu’une de ses exoplanètes passe devant l’étoile, cachant une partie de sa lumière. La fraction de la lumière cachée, déterminant l’intensité du signal que l’on peut détecter, dépend du rapport entre la taille de la planète et celle de son étoile. Ainsi, l’observation de petites étoiles nous permet de détecter des exoplanètes plus petites.
La vidéo ci-dessous montre le concept derrière la méthode du transit. On voit que la luminosité de l’étoile varie en fonction de la taille de l’exoplanète qui passe devant elle. En réalité, quand on utilise la méthode du transit, on ne voit pas la surface de l’étoile comme dans la vidéo ci-dessous, parce que toutes les étoiles sont trop éloignées pour les voir avec autant de détails. Ce que nous observons plutôt, c’est un petit point lumineux dont l’intensité diminue brièvement pendant le transit d’une exoplanète.

Il n’est pas toujours possible de détecter une exoplanète avec la méthode du transit, parce que leur orbite doit être alignée correctement par rapport à notre ligne de visée pour que l’exoplanète passe devant son étoile lorsque celle-ci est observée depuis la Terre. Cependant, la méthode du transit nous offre certains autres avantages : elle nous permet entre autres de détecter des exoplanètes à de très grandes distances. C’est pourquoi la mission Kepler de la NASA a été aussi prolifique. Ce télescope spatial a pointé dans la même direction du ciel pendant un peu plus de trois ans, ce qui nous a permis de détecter plus de 2 300 exoplanètes. C’est plus de la moitié de celles connues à ce jour !
Une autre méthode que l’on utilise souvent pour la détection d’exoplanètes s’appelle la méthode des vitesses radiales. Quand une exoplanète se déplace en orbite autour de son étoile, elle tire très légèrement sur l’étoile par gravité. Cette force pousse l’étoile à se déplacer le long d’un petit cercle (ou parfois une ellipse), dont la taille est typiquement plus petite que celle de l’étoile ! Nous pouvons détecter ce déplacement de l’étoile avec nos instruments scientifiques : lorsqu’elle se déplace vers nous, la lumière que l’on perçoit semble un peu plus bleue, et lorsqu’elle s’éloigne, sa lumière nous semble légèrement plus rouge. C’est ce qu’on appelle l’effet Doppler. C’est aussi à cause de cet effet que le son qui nous provient d’une voiture en mouvement semble plus aigu lorsqu’elle se déplace vers nous, et plus grave lorsqu’elle s’éloigne. En détectant des variations périodiques dans la couleur de la lumière qui nous provient d’une étoile, on peut ainsi déduire la présence d’une exoplanète.
La méthode des vitesses radiales nous a permis de découvrir les premières exoplanètes autour d’étoiles typiques (quelques candidates exoplanètes avaient été trouvées auparavant, autour de pulsars). Paul Butler, mon voisin de bureau pendant mon premier postdoc au Carnegie Institution for Science à Washington, D.C. (et, comme moi, grand amateur de café), est l’un des pionniers de la méthode des vitesses radiales. Il aime raconter comment lui et son équipe ont eu recours à un appareil contenant de l’iode gazeux (aussi appelée une cellule d’iode gazeux, ou une iodine gas cell en anglais) pour calibrer leur instrument durant leur recherche d’exoplanètes dans les années 1990, et comment ils étaient inquiets d’échapper cet appareil en verre, étant donné que l’iode gazeux est extrêmement dangereux.
Les petites étoiles sont aussi avantageuses pour la recherche d’exoplanètes par la méthode des vitesses radiales. Cette fois-ci, l’intensité du changement de couleur de l’étoile dépend du rapport entre la masse de la planète et celle de l’étoile. Ainsi, pour un télescope et un instrument donné, l’observation d’une étoile de plus petite masse nous permet de découvrir des exoplanètes de plus petites masses.
Il y a cependant un problème qui complique la recherche d’exoplanètes autour de petites étoiles : les petites étoiles sont souvent « hyperactives », en ce sens qu’elles subissent des éruptions imprévisibles générant des éclats très brillants en lumière visible, UV et rayons X, et elles possèdent aussi beaucoup de taches sombres à leur surface (le Soleil en possède aussi, mais beaucoup moins). Ces signaux aléatoires et puissants « polluent » le signal qu’une exoplanète peut avoir sur son étoile, et rendent ainsi la détection d’exoplanètes beaucoup plus difficile.
Les étoiles jeunes sont encore plus problématiques à cet égard : pour des raisons techniques que nous n’explorerons pas aujourd’hui, ces dernières tournent plus rapidement sur elles-mêmes, et cela les pourvoit de champs magnétiques plus importants. Ce sont ces champs magnétiques qui causent les taches sombres à la surface des étoiles, et leurs éruptions spontanées. Ainsi, les étoiles jeunes ont tendance à être plus actives, et les petites étoiles jeunes sont d’autant plus actives. AU Mic est un des pires cas possibles : elle est à la fois jeune et petite. Peter Plavchan l’appelle parfois « Speedy Mic » pour cette raison.
AU Mic est aussi une étoile vraiment intéressante (et problématique) pour une autre raison : elle est entourée d’un important disque de débris, résultat de collisions entre embryons planétaires qui étaient autrefois en orbite autour de l’étoile. Le disque a été découvert en 2005, et a depuis été étudié en détail. Des chercheurs y ont même trouvé des amas de débris qui semblent se déplacer rapidement vers l’extérieur du disque à des vitesses fulgurantes d’environ 40 000 kilomètres par heure ! On ne comprend pas encore la cause de ce phénomène.

Une étude menée par Cail Dailey avec l’Atacama Large Millimeter Array Observatory (ALMA) a aussi révélé la structure du disque de débris beaucoup plus près de l’étoile AU Mic. Ils ont déterminé que l’épaisseur importante du disque à une distance de 20 à 40 unités astronomiques de l’étoile pourrait être expliquée par un brassage causé par des embryons planétaires ou une exoplanète de moins de 2 fois la masse de la Terre.

En résumé, AU Mic est une étoile vraiment intéressante, mais c’est aussi une cible très difficile pour la recherche d’exoplanètes à cause de son activité intense. Quand les chercheurs ont réalisé cela, ils ont dû identifier des stratégies pour s’affranchir de cette difficulté s’ils voulaient ouvrir la porte à la recherche d’exoplanètes autour de petites étoiles. Une stratégie qu’ils ont identifiée est l’utilisation de la lumière infrarouge, plutôt que celle visible, pour détecter des exoplanètes avec la méthode des vitesses radiales. Les éruptions causées par la forte activité magnétique d’une étoile sont effectivement moins apparentes en lumière infrarouge. Cependant, la technologie des caméras infrarouges est encore jeune, et elles sont ainsi beaucoup plus coûteuses et moins précises. Il est aussi beaucoup plus difficile d’obtenir une bonne calibration pour mesurer précisément les changements de couleur d’une étoile en lumière infrarouge qu’en lumière visible.
C’est ici qu’interviennent Peter Plavchan et son équipe : depuis environ 2010, Peter a initié une collaboration avec le Jet Propulsion Laboratory de la NASA pour développer des appareils de calibration innovateurs pour les caméras infrarouges. Ils ont construit un appareil similaire à la cellule d’iode gazeux utilisée par Paul Butler, mais ont eu recours à un isotope du méthane plutôt que l’iode. Cette molécule est beaucoup plus adaptée à la lumière infrarouge, tout en étant bien moins dangereuse à manipuler. L’équipe de Peter a aussi contribué au développement d’un autre appareil, plus précis, mais encore plus coûteux, appelé un peigne laser proche infrarouge (ou near-infrared laser comb en anglais).

Dès que Peter a pu mettre la main sur cette cellule de méthane gazeux, il l’apporta au Infrared Telescope Facility (IRTF) à Hawaii pour l’installer sur la caméra infrarouge CSHELL. Lui et son équipe ont commencé à l’utiliser pour observer des petites étoiles dans notre voisinage galactique, en particulier celles qui sont jeunes et plus difficiles à étudier en lumière visible. Comme vous pouvez vous imaginer, AU Mic est l’une des premières étoiles qu’ils ont ainsi observées, en 2010.

C’est seulement en 2014 que je me suis joint à l’équipe de Peter Plavchan. J’étais alors à ma 4e année de doctorat, et je travaillais sur la recherche de naines brunes dans les associations d’étoiles jeunes, tout comme l’association cinématique β Pictoris mentionnée ci-dessus, dans l’équipe de René Doyon et David Lafrenière à l’Université de Montréal. J’ai postulé à un concours en ligne pour obtenir un stage de 6 mois avec des chercheurs au Infrared Processing and Analysis Center (IPAC) de la California Institute of Technology, et j’ai eu la joie d’apprendre que j’ai été sélectionné pour travailler avec l’équipe de Peter Plavchan sur son projet de recherche d’exoplanètes en lumière infrarouge. J’ai donc déménagé à Pasadena en Californie pour l’été, et j’ai commencé à travailler avec l’équipe de Peter. Pendant cet échange, je suis allé à quelques reprises au télescope IRTF pour mener des observations avec son équipe, entre autres pour obtenir des mesures de l’étoile AU Mic.
En plus d’aider avec les observations au télescope, j’ai passé la plupart de mon temps à Pasadena à écrire des codes informatiques pour transformer les données brutes de la caméra CSHELL en un produit fini qu’on peut analyser et interpréter. Ça peut sembler surprenant quand nous sommes habitués à utiliser des caméras commerciales, mais les images qui nous proviennent d’une caméra scientifique nécessitent une grande quantité de travail avant de pouvoir en tirer un produit fini. Dans ce cas en particulier, le produit fini en question est une mesure de la vitesse d’une étoile le long de notre ligne de visée, chaque nuit où on l’a observée (c’est ce qu’on appelle une « vitesse radiale »). C’est aussi à Pasadena que j’ai découvert ma passion pour le café, avec les espressos single origin du café Copa Vida où j’aimais bien m’installer pour programmer sur mon ordinateur portable.
Lorsque je suis revenu à Montréal après cette expérience fantastique, le travail était loin d’être terminé — les projets de recherche comme celui-ci prennent régulièrement des décennies pour mener à leurs premiers résultats, surtout lorsque de nouveaux instruments sont développés en parallèle. J’ai ainsi continué à collaborer avec Peter Plavchan en analysant les nouvelles données CSHELL à mesure qu’elles étaient collectées au télescope par notre équipe. En 2016, j’ai mené l’analyse et la rédaction d’un article scientifique décrivant nos premiers résultats en lien avec ce projet. L’instrument CSHELL n’était pas encore assez précis pour détecter l’exoplanète AU Mic b, mais nous avons pu exclure la possibilité que l’étoile AU Mic ait une exoplanète plus massive que Jupiter en orbite très rapprochée autour de son étoile. Peter Gao, qui est aussi un membre de l’équipe de Peter Plavchan et depuis 2014 un de mes amis proches, a mené la préparation d’un autre article scientifique en 2016 où il décrit l’algorithme que nous avons développé pour prendre les données calibrées de la caméra CSHELL, générées par mes codes informatiques, et les transformer et mesures de vitesses radiales. Ce sont effectivement des mesures si complexes que deux ensembles de codes informatiques étaient bel et bien requis pour les obtenir !

Au moment où nous avons publié nos deux articles scientifiques en 2016, une nouvelle caméra améliorée était prête pour remplacer CSHELL au télescope IRTF. Cette nouvelle caméra, appelée iSHELL, est similaire dans le type de mesures qu’elle obtient, mais elle est vraiment plus performante, et surtout plus précise. Nous avons immédiatement commencé à l’utiliser, toujours avec la même cellule de méthane gazeux de Peter. Après que nous ayons pu accumuler quelques nuits d’observations, j’ai pris un vol pour le Missouri où Peter Plavchan était maintenant professeur adjoint à la Missouri State University. Nous nous sommes installés avec son nouvel étudiant Bryson Cale, et avons passé la semaine à écrire de nouveaux algorithmes informatiques pour calibrer et analyser les données de la nouvelle caméra iSHELL. Ils sont revenus tous les deux me rendre visite à Washington, D.C. l’année suivante, où je résidais pendant mon premier postdoc, pour continuer à travailler sur ces programmes informatiques.
Après avoir commencé à accumuler des données iSHELL, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que Peter Plavchan remarque quelque chose d’intéressant dans les données d’AU Mic. Il a envoyé un courriel à notre équipe à l’automne 2016 pour nous informer qu’il pensait avoir vu les premiers signes d’une exoplanète se cachant dans nos données. Cependant, il aurait été beaucoup trop tôt pour annoncer cette découverte publiquement sous forme d’un article scientifique, parce que les données n’indiquaient pas encore la présence d’une exoplanète hors de tout doute, surtout dans ce cas, où nous utilisions une nouvelle méthode pour étudier cette étoile exceptionnellement active. Il nous fallait être absolument certains que le signal était dû à une exoplanète, et nous avons donc continué à l’observer au télescope aussi souvent que possible.

Alors que nous accumulions plus de données, le signal de l’exoplanète devenait de plus en plus clair, et indiquait qu’elle ressemblait probablement à Neptune. À l’été 2018, la NASA a commencé à publier les premières collectes de données du télescope spatial TESS, récemment lancé en orbite. La mission TESS a pour but d’observer un grand nombre d’étoiles dans notre voisinage galactique de manière continue, pour y remarquer des événements de transits d’exoplanètes décrits plus haut. Comme c’est souvent le cas pour les missions de la NASA, les données du télescope TESS deviennent accessibles à tous au moment de leur publication, et elles deviennent une mine d’or pour les chercheurs en astrophysique à travers le monde. Il s’avéra que TESS avait observé l’étoile AU Mic ! Évidemment, Peter Plavchan est tout de suite allé voir si les données TESS reflétaient la présence de notre exoplanète AU Mic b, et c’était le cas ! TESS avait bel et bien observé AU Mic b effectuer deux transits devant son étoile !
Le signal du transit d’AU Mic b indiquait que la planète effectuait une orbite autour de son étoile à chaque 8,5 jours. C’est extrêmement court ! Imaginez si la Terre parcourait son orbite aussi rapidement : notre année ne durerait alors que 8,5 jours. AU Mic b est en orbite aussi rapide parce qu’elle se trouve très près de son étoile, à seulement 7% de la distance Terre-Soleil. Les données en vitesse radiale que nous avions obtenues au télescope IRTF indiquaient que la masse d’AU Mic devait être inférieure à 3,5 fois celle de Neptune, et les données TESS indiquent que sa taille est presque exactement celle de Neptune.
Les données TESS contiennent aussi une signature qui indique peut-être la présence d’une deuxième planète à 0,13 unité astronomique de son étoile (13% de la distance Terre-Soleil), avec une taille d’environ le double de la Terre. Par contre, il nous faudra beaucoup plus de données pour être certains que cette deuxième exoplanète existe bel et bien, surtout quand on parle d’observations d’une étoile aussi instable qu’AU Mic.
La découverte d’AU Mic b est vraiment excitante, et pas seulement parce qu’elle indique qu’on peut maintenant espérer trouver plus de planètes autour de petites étoiles jeunes. Le fait qu’AU Mic soit si jeune nous permet de voir AU Mic b dans ses premiers moments après s’être formée. Certains chercheurs pensent qu’elle pourrait s’être formée un peu plus loin de son étoile, à environ 10 unités astronomiques (10 fois la distance Terre-Soleil), et qu’elle aurait ensuite migré plus près de son étoile. Si c’est le cas, on sait qu’elle doit avoir migré rapidement, parque que l’étoile AU Mic n’est âgée que de 24 millions d’années.
Cette découverte nous fournit aussi un laboratoire complet pour étudier l’impact que la formation d’une exoplanète telle qu’AU Mic b peut avoir sur son disque de débris. Nous savons que les exoplanètes se forment dans des disques de matière autour d’étoiles encore jeunes, mais nous ne connaissons pas encore bien les détails des phénomènes physiques permettant à une exoplanète de croître, depuis l’agrégation de particules de taille microscopique jusqu’aux « planétésimaux » dont la masse dépasse les centaines de kilomètres, jusqu’aux planètes pouvant atteindre des tailles de plusieurs centaines de milliers de kilomètres.
La découverte d’AU Mic b nous permettra aussi d’étudier comment la forte émission de rayons X et de lumière UV par l’étoile, et ses vents stellaires importants, peuvent affecter l’atmosphère de ses exoplanètes. On pense que ces phénomènes pourraient entre autres éroder l’atmosphère des exoplanètes, et les rendre moins favorables à la vie dans le cas d’exoplanètes rocheuses (on pense qu’AU Mic b est pour sa part faite entièrement de gaz).
Une autre chose qui rend la découverte d’AU Mic b excitante est sa proximité. AU Mic est à seulement 32 années-lumière de nous, ce qu’on peut appeler notre arrière-cour galactique. C’est même l’une des étoiles les plus proches de l’association cinématique β Pictoris, comme vous pouvez voir ci-dessous :
Ce système est si proche de nous qu’AU Mic b est l’une des exoplanètes les plus proches de nous parmi toutes celles connues à ce jour ! En fait, seulement 37 exoplanètes des 4 171 qui sont recensées dans la NASA exoplanet archive sont situées plus proche de nous. Mais encore une fois, une image vaut mille mots, et une vidéo vaut mille images :
Peter a ainsi débuté le long processus d’écriture d’un article scientifique pour le soumettre à la revue Nature, lequel a finalement été publié ce 24 juin. Cette nouvelle a produit toute une sensation ; elle s’est même retrouvée à la une du site web de CNN !
La science ne s’arrête pas là, cependant ! Avant l’annonce de la planète, Peter a initié des collaborations avec plusieurs équipes scientifiques à travers le monde pour effectuer un suivi de cette nouvelle exoplanète. Cela a mené à la publication de cinq (!) articles scientifiques additionnels, tous dévoilés le 24 juin en même temps que l’article de découverte d’AU Mic b. Quatre de ces cinq études ont mesuré une quantité qui s’appelle l’obliquité de la planète AU Mic b — c’est-à-dire l’inclinaison entre l’axe de rotation de la planète et la perpendiculaire du plan de son orbite, vous pouvez consulter cette vidéo (en anglais) pour plus d’explications sur ce concept — et elles ont toutes trouvé que l’axe de rotation de la planète était perpendiculaire au plan de son orbite. Cela favorise l’hypothèse comme quoi AU Mic b se serait formée à partir du disque protoplanétaire de l’étoile AU Mic dans ses premiers millions d’années, lorsqu’il contenait encore beaucoup de gaz. Cela indique aussi qu’AU Mic b n’a probablement pas subi de collisions catastrophiques avec d’autres planétésimaux après s’être formée, ce qui peut modifier significativement l’axe de rotation d’une planète.
Il reste encore beaucoup d’inconnues par rapport à la formation des exoplanètes, et la recherche d’exoplanètes jeunes comme AU Mic b est très importante pour obtenir une « photographie » de plusieurs systèmes différents, à plusieurs stades de leur évolution. Rappelez-vous qu’à l’échelle astrophysique, un million d’années représentent un intervalle très court. On ne peut donc pas attendre de voir comment AU Mic b évoluera, et on doit trouver un autre système un peu plus vieux si on veut contraindre exactement ce qui se passera ensuite dans la vie d’AU Mic b.
Les scientifiques d’une des cinq équipes mentionnées plus haut, laquelle inclut d’autres membres de l‘Institut de Recherche sur les Exoplanètes à l’Université de Montréal ici même au Québec, ont mesuré la force du champ magnétique de l’étoile AU Mic, et comment celui-ci change avec le temps. Ils ont utilisé cette information pour mieux comprendre l’impact de l’activité stellaire sur nos mesures de vitesses radiales.
Une autre des équipes scientifiques a entrepris de mesurer la composition atmosphérique d’AU Mic b avec une méthode appelée la spectroscopie de transit, mais l’étoile était si active qu’elle les a empêchés de détecter quoi que ce soit. Le télescope spatial James Webb (James Webb Space Telescope en anglais, ou JWST) qui sera lancé prochainement par la NASA sera probablement capable de mener à bien ce projet.
Finalement, une autre équipe scientifique a construit des simulations informatiques pour mieux comprendre comment les vents stellaires d’AU Mic pourraient affecter l’atmosphère de son exoplanète. Ils ont trouvé que des vents plus forts auraient pour effet de compresser l’atmosphère, ce qui rendrait plus difficile la mesure de sa composition avec la méthode de la spectroscopie de transit. Ils ont aussi utilisé leurs simulations pour effectuer des prédictions sur le signal qu’on devrait attendre du transit d’AU Mic b dans une longueur d’onde (ou couleur) très spécifique de la lumière, en fonction de la quantité de vent stellaire émis par l’étoile, et de la quantité d’atmosphère d’AU Mic b se faisant éroder par l’émission d’UV et rayons X de son étoile. Ainsi, des observations futures nous permettront peut-être de contraindre ces deux paramètres de façon simultanée.
La NASA est si emballée par cette nouvelle découverte qu’en plus de produire plusieurs des animations ci-dessus, on lui doit cette magnifique affiche promotionnelle :

Je suis très fier d’avoir pu aider Peter et son équipe à faire cette découverte, mais je veux aussi souligner comment celle-ci est le résultat d’un effort de longue haleine de sa part. Peter a non seulement mis sur pied la technologie permettant cette découverte, mais il a aussi entraîné plusieurs étudiants à son utilisation (incluant moi-même en 2014). Il a aussi mené le projet d’observations d’AU Mic pendant une décennie, et franchi nombre d’obstacles pour mener à bien sa publication scientifique, malgré plusieurs changements de poste et déménagements, en plus d’une pandémie bien sûr ! J’espère donc qu’il tapissera ses murs avec cette affiche !
J’aimerais remercier Peter Plavchan, Marc Jobin, André Grandchamps et Marie-Eve Naud pour leurs commentaires.
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