Si vous êtes nouveaux à lire ce blog, bienvenue à vous ! Dans le passé, j’ai dédié le contenu de ce site Web spécifiquement pour les autres chercheurs en astrophysique, mais j’ai récemment décidé de présenter notre recherche excitante à un plus grand auditoire. C’est aussi un bon moment pour me lancer dans ce projet, car je viens tout juste de débuter un nouvel emploi en tant que conseiller scientifique au Planétarium Rio Tinto Alcan d’Espace pour la Vie — j’espère continuer de vous informer de nos plus récentes découvertes avec des billets similaires dans le futur ! D’ailleurs, je vous encourage à aussi consulter les blogues de mes collègues André Grandchamps et Marc Jobin.
Dans ce billet, je décris une découverte récente de notre équipe, en collaboration avec Jackie Faherty et Mark Popinchalk de l’American Natural Museum of History à New York. Nous pensons avoir découvert une gigantesque structure d’étoiles « soeurs », nées il y a 400 millions d’années, au sein d’un même nuage moléculaire avec les étoiles aujourd’hui dans l’astérisme de la « grande casserole » dans la constellation de la Grande Ourse. La publication scientifique décrivant cette découverte est disponible ici.
Ce billet est aussi disponible en anglais ici.
Les étoiles naissent dans de grands nuages de gaz froid qui sont plus denses que la matière interstellaire ordinaire. Les conditions physiques dans ces nuages de gaz sont telles que des molécules complexes s’y forment spontanément — des molécules aussi surprenantes que l’éthanol ont même été observées au sein de certains nuages de gaz ! Pour cette raison, on les appelle souvent nuages moléculaires.

Lorsqu’une partie d’un tel nuage moléculaire se fait compresser, que ce soit causé par une collision avec un autre nuage, une étoile du voisinage qui explose en supernova, ou simplement par de la turbulence, un événement de formation stellaire peut s’enclencher. Cela se produit parce que le gaz atteint une densité critique, où son attraction gravitationnelle sur le gaz avoisinant devient assez forte pour déclencher un effet d’emballement : l’attraction gravitationnelle permet d’accumuler plus de gaz, d’augmenter encore plus son attraction gravitationnelle, etc., jusqu’à ce que la pression et la température deviennent si hautes que des réactions nucléaires se déclenchent, convertissant l’hydrogène en hélium, et libérant une quantité colossale d’énergie : une étoile est née.
Matthew Bate de l’Université d’Exeter a créé des simulations informatiques qui montrent ce processus avec un niveau de détail incroyable. Dans la vidéo ci-dessous, on peut voir comment la densité du gaz augmente pendant un événement de formation stellaire. Ils y ont indiqué la densité du gaz par sa couleur et son intensité lumineuse :
Si vous portez attention, vous remarquerez qu’une étoile a même déjà explosé en supernova avant la fin de la simulation, en bas à gauche. On peut aussi voir la même simulation sur le site de Dr Bate, mais cette fois où la température du gaz est indiquée, plutôt que sa densité, avec la couleur et l’intensité. Cela permet de mieux voir la naissance des étoiles individuelles, car le gaz froid devient soudainement extrêmement chaud lorsque les réactions nucléaires se déclenchent :
Ces événements de formation stellaire mènent typiquement à la naissance de plusieurs étoiles d’un coup, comme on le voit dans la simulation ci-haut. Ce processus se produit aussi très rapidement à l’échelle astrophysique, bien en deçà d’un million d’années. On se retrouve ainsi avec une population d’étoiles qui ont environ le même âge (en anglais, on les désigne avec le terme technique « coeval stars »), et qui se sont formées à partir du même matériel gazeux. En conséquence, les proportions d’éléments chimiques que contiennent ces étoiles sont similaires, un effet qu’on peut mesurer avec nos instruments. Parfois, ces groupes sont relativement diffus, et ne contiennent que quelques centaines d’étoiles. Dans d’autres situations, ils peuvent être composés de milliers d’étoiles très rapprochées — c’est le cas des Pléiades, un amas d’étoiles bien connu, ainsi qu’une myriade d’autres amas ouverts dans notre galaxie, la Voie lactée.

Il est important de réaliser que toutes les étoiles autour du Soleil, ainsi que les nuages moléculaires, sont en fait sur des orbites gigantesques qui font le tour de la Galaxie, avec des périodes orbitales (ou « années galactiques ») d’environ 250 millions d’années. Le Soleil se trouve aussi sur une telle orbite autour du centre de la Galaxie, comme il est démontré dans cette animation (en anglais) construite par l’équipe de l’American Museum of Natural History (AMNH), à New York :
Étant donné que les étoiles dans notre voisinage de la Galaxie se trouvent sur des orbites galactiques distinctes, avec différentes formes et inclinaisons, leur déplacement semble aléatoire lorsqu’on les observe depuis la Terre. Ces mêmes étoiles semblent aussi se déplacer en ligne droite si on les observe seulement pendant quelques années, parce que la courbure d’une orbite avec une période de 250 millions d’années est très subtile à cette échelle de temps humaine, beaucoup plus courte. Ma collègue Jackie Faherty de l’AMNH démontre cet effet clairement pour les étoiles du voisinage solaire, en utilisant les données du télescope spatial Gaia lancé par l’Agence Spatiale Européenne.
Lorsqu’un nuage moléculaire « s’effondre » en un groupe d’étoiles fraîchement nées, son orbite autour de la Voie lactée ne s’en trouve pas affectée. Ainsi, toutes ces étoiles qui sont nées à partir du nuage moléculaire se trouvent initialement sur une orbite galactique similaire, et si on les observe à partir de la Terre, elles sembleront toutes se déplacer dans la même direction. Cela ne reste pas indéfiniment le cas, cependant ; ces étoiles passeront près d’autres nuages moléculaires, amas ouverts, et étoiles massives, qui vont les dévier graduellement par leur attraction gravitationnelle.
Chacune de ces étoiles ne rencontrera pas exactement les mêmes obstacles le long de leur orbite ; certaines passeront plus ou moins proche d’un amas, par exemple, et subiront donc des déviations distinctes. Ces différences s’accumuleront au cours de leurs trajectoires, jusqu’à ce qu’elles se retrouvent sur des orbites galactiques complètement différentes de leurs étoiles-soeurs, et du nuage moléculaire à partir duquel elles sont nées. En ce sens, notre galaxie agit un peu comme un grand malaxeur qui disperse lentement les membres d’un amas ouvert. Typiquement, il faut attendre au moins quelques périodes orbitales, ou années galactiques, avant qu’un amas se retrouve dispersé au point où on n’arrive plus à distinguer ses membres des autres étoiles de la Galaxie. Les amas qui commencent leur vie avec un plus grand nombre d’étoiles prennent plus de temps à se dissiper complètement, et dans ces cas, on peut encore reconnaître ces amas vieux de plusieurs centaines de millions d’années. Le Soleil, dont l’âge est d’environ 4,6 milliards d’années, a perdu ses étoiles-soeurs depuis longtemps, et celles-ci se trouvent maintenant quelque part dans la Galaxie, avec des orbites très différentes du Soleil. En conséquence, il nous est maintenant impossible de retrouver les étoiles qui sont nées avec le Soleil, au sein d’un même nuage moléculaire.
Un des meilleurs exemples que l’on connaît de ce processus de dissipation d’amas ouverts est l’amas de la Grande Ourse (aussi appelé Ursa Major en anglais), nommé d’après la constellation où il se trouve. Cet amas contient seulement une dizaine d’étoiles très massives, dans notre voisinage immédiat, à seulement 80 années-lumière de nous. Ces étoiles se déplacent encore toutes dans la même direction, et six d’entre elles — Alioth, Mizar, Merak, Phecda, Megrez et Alcor, — font partie de l’astérisme bien connu de la « grande casserole ».

Pour vous donner une idée de cette échelle de distance, je vous suggère la vidéo ci-dessous, qui montre toutes les étoiles connues à l’intérieur de cette distance (80 années-lumière). Vous verrez que l’amas de la Grande Ourse se trouve réellement dans notre arrière-cour galactique !
Le groupe d’étoiles qui constitue l’amas de la Grande Ourse est cependant très étrange : il est composé uniquement d’étoiles relativement massives, entre environ 1,5 et 2,5 fois la masse du Soleil. De telles étoiles ne représentent typiquement que la pointe de l’iceberg dans une pouponnière d’étoiles. Pour chaque étoile d’une telle masse, on trouverait normalement environ 20 étoiles dont la masse est entre 0,1 et 0,5 fois celle du Soleil, ainsi que quelques autres étoiles de masses intermédiaires.
Le problème, c’est qu’il n’y a aucune petite étoile dans l’amas de la Grande Ourse, et on a cherché ! Dans deux de mes publications scientifiques les plus récentes (ici and ici), j’ai sondé le voisinage du Soleil pour y chercher les membres manquants de plusieurs groupes d’étoiles comme l’amas de la Grande Ourse. Malgré en avoir trouvé un grand nombre, presque aucune n’est apparentée à l’amas de la Grande Ourse ! En se basant sur des méthodes bien établies, on sait que les étoiles dans l’amas de la Grande Ourse sont âgées d’environ 400 millions d’années, ainsi elles ont déjà parcouru plus d’une fois leur orbite galactique depuis leur naissance. On sait aussi que les étoiles de plus petites masses sont plus faciles à dévier de leur orbite, indiquant que l’amas de la Grande Ourse que l’on observe aujourd’hui n’est que le vestige d’un glorieux amas ouvert qui a déjà contenu une grande quantité d’étoiles. À force de se faire lentement « endommager » par les obstacles rencontrés le long de son orbite, il ne reste plus que quelques étoiles dans l’amas, suffisamment massives pour avoir bien résisté à ces obstacles.
Ceci n’est pas une idée nouvelle, et des publications scientifiques datant de 1992 ont même identifié environ 40 étoiles dans le voisinage solaire, qui semblent se déplacer approximativement dans la même direction que l’amas de la Grande Ourse, et pourraient ainsi être apparentées. Leur lien de famille avec l’amas de la Grande Ourse n’a pas encore été confirmé avec certitude, et même cet ensemble d’étoiles plus étendu ne contient presque pas de très petites étoiles. De plus, le nombre total d’étoiles qui le constituent n’est pas suffisant pour expliquer toute la population manquante de l’amas de la Grande Ourse.
Le télescope Gaia, donc Jackie vous a parlé dans la vidéo ci-haut, est en train de révolutionner notre connaissance des étoiles dans le voisinage solaire, en particulier la façon dont ces étoiles se déplacent. Le vaisseau spatial Gaia a mesuré précisément la distance et le déplacement de plus d’un milliard d’étoiles ! Ceci a permis à plusieurs équipes scientifiques, dont la nôtre, de découvrir des associations d’étoiles jusqu’alors inconnues — comme il est décrit, par exemple, dans cette récente publication scientifique menée par Jackie, ou dans celle-ci, que j’ai menée pendant mon premier stage postdoctoral au Carnegie Institution for Science à Washington, D.C. Une autre équipe de l’Université de Western Washington a récemment publié une étude vraiment intéressante où ils ont identifié un impressionnant nombre de groupes d’étoiles se déplaçant ensemble dans l’espace. Certains de ces groupes étaient connus, mais plusieurs n’avaient pas encore été découverts. Marina Kounkel, la chercheuse qui a mené ce projet, a créé cette figure interactive en 3D qui permet de visualiser tous ces groupes d’étoiles. J’ai aussi construit une vidéo où l’on peut voir l’ensemble de ces groupes :
Lorsque j’ai lu cette étude, j’ai décidé de jeter un coup d’oeil à tous ces nouveaux amas d’étoiles, et de les comparer aux amas connus dans notre voisinage plus immédiat. Cela m’a permis de réaliser quelque chose de très intéressant : quelques-unes de ces nouvelles structures étendues, contenant un total de 1 600 étoiles, se déplacent de façon très atypique, et similaire aux étoiles de l’amas de la Grande Ourse !
Ces 1 600 étoiles se déplaçant de façon similaire à l’amas de la Grande Ourse ont aussi des propriétés suggérant un âge d’environ 400 millions d’années, et elles se trouvent distribuées le long de deux queues très étendues autour de l’amas de la Grande Ourse, jusqu’à une distance de 900 années-lumière du Soleil ! Si vous vous posiez la question, seulement deux de ces 1 600 étoiles sont vraisemblablement visibles à l’oeil nu (les étoiles 30 Cep et HD 3856), et elles ne se trouvent pas du tout dans la région du ciel nocturne de la Grande Ourse ! 30 Cep se trouve dans la constellation de Céphée, et HD 3856 dans Cassiopée.
Nos analyses précédentes ayant permis de retrouver plusieurs étoiles manquantes dans les amas jeunes de notre voisinage ont complètement manqué ces structures très étendues retrouvées par l’équipe de Marina Kounkel, car notre recherche était concentrée trop près du Soleil, là où le coeur de l’amas de la Grande Ourse se trouve. En plus, les orbites des étoiles peut-être ainsi associées à l’amas de la Grande Ourse semblent avoir été déviées de façon plus importante que ce à quoi on s’était attendu. Voici une visualisation en trois dimensions que j’ai construite, représentant de l’amas de la Grande Ourse. Dans la vidéo, on se rapproche de la dizaine de membres du « coeur » de l’amas, puis après quelques instants, je fais apparaître les gigantesques et nouvelles structures que l’on pense apparentées à l’amas de la Grande Ourse.
Vous pouvez remarquer qu’il y a un interstice vide entre les étoiles du coeur de l’amas et les deux queues étendues ; cet effet n’est probablement pas réel. Effectivement, c’est probablement une conséquence du fait que l’algorithme utilisé par les chercheurs de l’Université de Western Washington ne leur a pas permis de retrouver les amas d’étoiles à l’intérieur de 200 années-lumière autour du Soleil — exactement là où se trouve l’interstice, — et donc on devrait pouvoir trouver des étoiles pour le combler si on cherche bien. Si vous retournez quelques vidéos ci-dessus où j’ai montré tous les amas découverts par Marina Kounkel et son équipe, vous verrez qu’il y a bien une bulle vide d’environ 200 années-lumière autour du Soleil.
Vous vous demandez peut-être comment il est possible qu’on n’ait pas encore remarqué une structure aussi grande, et c’est une question raisonnable. En réalité, il est extrêmement difficile de voir cette structure, car elle est complètement noyée par un grand nombre d’autres étoiles du voisinage. Par exemple, si je vous montre seulement 10% des étoiles les plus brillantes à l’intérieur d’une bulle de 700 années-lumière autour du Soleil (la région qui inclut les queues de l’amas de la Grande Ourse), et qu’on avance tranquillement vers le Soleil, vous aurez une meilleure idée de la vaste quantité d’étoiles incluses dans cette grande région :
Nous venons tout juste de publier ce résultat dans la revue Research Notes of the American Astronomical Society, mais il reste beaucoup de travail à faire pour comprendre ce qui se passe avec l’amas de la Grande Ourse ! Il nous manque encore les mesures de vélocité pour plusieurs étoiles dans la nouvelle structure étendue. De plus, elle contient une multitude d’étoiles, même quelques naines blanches, qui pourront être étudiées dans les détails pour tester notre hypothèse comme quoi la structure pourrait contenir la population manquante de l’amas de la Grande Ourse.
Une autre question que nous voudrons élucider est pourquoi les petites étoiles de l’amas de la Grande Ourse ont été dispersées aussi loin de son coeur. Des structures similaires, appelées « queues de dissipation » en jargon scientifique, ont aussi été découvertes récemment autour d’autres amas ouverts, comme l’amas de la Chevelure de Bérénice (aussi appelé Melotte 111, ou Coma Berenices en anglais), âgé d’environ 600 millions d’années. Les queues de dissipation de ce dernier ont été découvertes en 2019, aussi avec les données du télescope spatial Gaia. Cependant, les queues de dissipation de l’amas de la Chevelure de Bérénice s’étendent seulement sur 130 années-lumière, versus presque 1800 années-lumière pour l’amas de la Grande Ourse. J’ai construit ci-dessous une autre vidéo pour vous montrer à quel point les queues de dissipation de l’amas de la Grande Ourse seraient plus étendues.
Si ces nouvelles structures très étendues sont vraiment apparentées à l’amas de la Grande Ourse, cette découverte ouvrira plusieurs possibilités. Est-ce que des queues de dissipation aussi gigantesques existent aussi autour de l’amas de la Chevelure de Bérénice, et restent à découvrir ? Peut-être ont-elles été manquées pour la même raison, c’est-à-dire que leurs orbites galactiques ont été perturbées de façon beaucoup plus importante que les étoiles dans le coeur de l’amas. Sinon, ce résultat pourrait-il indiquer que l’amas de la Grande Ourse a subi une collision importante dans son passé, ayant provoqué cette déchirure plus violente au sein de sa population de petites étoiles ? Si c’est le cas, il sera intéressant d’étudier la trajectoire passée de l’amas de la Grande Ourse le long de son orbite galactique, pour essayer de comprendre avec quoi l’amas pourrait être entré en collision.
J’aimerais remercier Marc Jobin et André Granchamps pour leurs commentaires.
3 thoughts on “Une gigantesque fratrie pour les étoiles de la Grande Ourse ?”